SAVOIR FAIRE Quand l’héritage a rendez-vous avec l’innovation
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Heuer Ring Master et TAG Heuer Connected
Edouard Mignon, ce matin-là, travaille depuis son bureau. Catherine Eberlé-Devaux rejoint notre réunion Zoom depuis Genève. Les deux ont le sourire et la montre au poignet.
Le premier ? Le directeur de l’innovation et responsable de l’Institut de recherche de TAG Heuer, depuis février 2020. La seconde, directrice du patrimoine de TAG Heuer, laissera sa place en avril 2021 à Nicholas Biebuyck, prêt à reprendre le flambeau en fin connaisseur de la maison. Deux postes clé, donc, pour une marque dont le slogan annonce le programme : “Swiss Avant-Garde since 1860”.
Une discussion passionnante qui mélange passé, présent et futur d’une marque, réflexions sur le quartz ou la puissance philosophique d’une montre. Ensemble, nous sommes partis sur les traces de l’héritage, de l’innovation et des valeurs de TAG Heuer qui transcendent le temps.
Catherine, Edouard, pourriez-vous nous rappeler vos missions respectives ?
Catherine Eberlé-Devaux : Le département Héritage a été créé il y a bientôt 4 ans, en avril 2017, dans l’idée d’explorer en profondeur le patrimoine de TAG Heuer et de le faire rayonner. Il s’agissait de mettre en lumière l’histoire de la marque, notamment à travers des documents d’archives qui permettent de retracer tout ce qui s’est passé depuis 1860, et donc de comprendre ce qui a aiguillé les choix des différents dirigeants issus des quatre générations de la famille Heuer.
L’objectif était aussi d’acquérir une connaissance approfondie des montres que nous avons produites au cours de ces 160 années d’existence. Ce savoir est crucial pour trois raisons. Tout d’abord, connaître l’intérieur d’une pièce permet, comme les archives, d’expliquer certains choix de l’entreprise. La seconde raison, c’est que cette connaissance permet de contribuer au marché du vintage. La communauté des collectionneurs Heuer et TAG Heuer est très importante. Mais avant la création du département, il n’y avait pas d’autorité garante sur la qualité des pièces de seconde-main. Il y avait un réel besoin de légitimer nos montres, même quand elles dataient d’il y a 30 ou 60 ans. Enfin, mieux on connaît les montres que l’on a fabriquées dans le passé, mieux on peut développer les montres d’aujourd’hui, leur donner un sens, de l’émotion, un intérêt – autre que simplement celui de la valeur de la pièce – même si c’est déjà conséquent.
L’activité de votre département est très variée !
CED : Oui, c’est une expérience passionnante que de le construire. Il est connecté en étoile à beaucoup de services différents, c’est ce que j’adore. Je travaille avec la communication quand nous montons des expositions, avec les départements presse sur la manière de raconter telle ou telle histoire, avec le milieu des ventes aux enchères et des collectionneurs et avec l’innovation, évidemment.
… avec l’innovation : à vous, Edouard.
Edouard Mignon : Mon travail est de rêver à l’horlogerie du futur ! Et pour ça, comme le département Héritage, je dois faire des connexions. Entre le passé, le présent, le futur, entre des mondes d’activités et des profils très différents. Pour faire naître l’innovation et la pousser toujours plus loin. Ce sont ces connexions qui font que nos pièces expriment quelque chose de profond.
A l’institut de recherche TAG Heuer, nous sommes une trentaine de personnes aux profils très complémentaires, allant du docteur en matériaux à l’horloger. L’Institut existe pour faire le pont entre l’horlogerie traditionnelle et ce qui est plus “cutting-edge”, la technologie. Son ambition est de s’attaquer aux grands enjeux de l’horlogerie, mais avec une approche centrée sur le client et sur l’ADN de la maison. C’est exactement ici que se croisent nos postes, avec Catherine ! Pour se projeter dans l’avenir et réaliser des pièces qui ont du sens, nous devons nous nourrir d’une histoire.
Nous développons de nouvelles fonctions, de nouvelles technologies dans le but d’améliorer la performance, de diminuer les durées entre services et de créer de nouveaux mouvements. Mais notre rôle est aussi de réimaginer les systèmes mécaniques existants pour les rendre plus simples, plus faciles à appréhender pour les clients. Et puis il y a également la question des matériaux et des process : nous sommes à l’aube d’une révolution sur ces deux sujets ! Notre métier, au final, est d’interpréter les technologies dans notre monde quotidien, et dans celui de TAG Heuer. N’oublions pas que TAG signifie “techniques d’avant-garde”.
Atelier de restauration de pièces vintages TAG Heuer, à la Chaux-de-Fonds (Suisse)
Racontez-nous les débuts de votre collaboration, et comment elle se poursuit aujourd’hui.
CED : J’ai eu la chance de faire partie des premières personnes qu’Edouard est venu rencontrer pour comprendre cette colonne vertébrale de la marque. Et non pas simplement pour me dire “enchanté je suis votre nouveau collègue”. Notre première discussion, pour tout vous dire, tournait autour de l’importance de préserver l’essence innovante de la Maison. Car, au cours de ces 160 années d’existence, l’innovation n’a cessé de s’exprimer et TAG Heuer a su la sublimer, la développer, la nourrir et l’enrichir.
À l’Héritage, nous faisons tout sauf de la nostalgie. Oui, nous avons un musée, mais c’est presque anecdotique. C’est tout juste si nous avons envie de l’appeler “musée”, c’est un lieu de vie.
Très vite, nous nous sommes bombardés de questions mutuellement. Moi pour lui parler de ce calibre mythique à dépoussiérer d’urgence, lui pour me parler du quartz et en savoir plus quant à sa place dans l’histoire de TAG Heuer. C’est comme ça que notre collaboration a commencé, par des sujets très précis, un peu comme une liste à la Prévert. Et, petit à petit, au gré des messages, des zooms et des rencontres, cette liste s’est allongée.
EM : Effectivement, j’ai eu la chance de rencontrer Catherine parmi les toutes premières personnes chez TAG Heuer, c’était vraiment une belle rencontre. Quand on travaille avec quelqu’un, c’est très important d’être inspiré, de savoir se nourrir de l’autre et de ses connaissances. Nous aimons rebondir chacun sur des questionnements généraux, mais nous nous projetons aussi ensemble dans chaque produit. Nous menons ensemble un certain nombre de projets très concrets où chacun apporte son expertise et son expérience. C’est donc vraiment une double approche que nous avons : soit nous commençons par un brainstorming qui peut partir très loin. Soit nous nous attelons à un sujet précis que nous examinons sous toutes ses coutures pour lui apporter plus de valeurs, plus de sens.
A croire que vous étiez fait pour travailler en binôme !
EM : Ce qui est sûr, c’est que nous nous soucions tous les deux de la notion de continuité. Aujourd’hui, nous portons les couleurs de TAG Heuer et notre mission est de les rendre encore plus belles, car demain, d’autres les porteront et reprendront le flambeau. Il faut donc qu’il y ait une logique derrière chacune de nos actions.
CED : Oui, nous avons une responsabilité. Nous ne sommes là que pour un temps limité, tandis que la marque, elle, existe pour un temps infini. Nous sommes donc à la fois forcément très humbles, mais aussi très impliqués. Nos actions ont des répercussions sur la marque aujourd’hui mais aussi sur celle qui sera expérimentée dans le futur et celle qui sera décrite dans les livres.
EM : Exactement ! C’est amusant, nous travaillons tous les deux sur des échelles de temps qui sont longues. Catherine, tu te nourris de tout ce qui a pu arriver par le passé et, nous, à l’institut, nous essayons de nous projeter le plus loin possible.
Combien de temps pour passer d’une intuition à une innovation à un produit à un héritage ? Avez-vous un exemple d’une de ces trajectoires ?
EM : Cela peut prendre plusieurs années et plus c’est ambitieux, plus cela demande du temps ! Je prends l’exemple de la Monaco V4, qui a été présentée en tant que montre en 2004. Il a fallu cinq ans de travail acharné pour en faire des petites séries. Aujourd’hui, elle fait pleinement partie du patrimoine et les collectionneurs en parlent beaucoup.
Un aspect de votre collaboration que l’on ne soupçonne pas ?
CED : La re-fabrication de composants qui constituent le mouvement d’une montre ! À l’Héritage, nous avons une réelle problématique autour de la restauration des pièces anciennes. Dans la restauration, contrairement à la réparation, il s’agit de préserver autant que possible l’intégrité et l’authenticité de la pièce telle qu’on la reçoit de son propriétaire. Mais pour ce faire, il y a, malgré tout, des matériaux d’usure dans le mouvement que nous sommes obligés de changer. Et, évidemment, nous n’avons pas un stock infini de tous les composants, de tous les mouvements que la maison a utilisés depuis 160 ans ! Donc, nous avons une problématique de rareté et de sourcing de ces fameux composants. Jusqu’à l’arrivée d’Edouard, nous jonglions avec des fournisseurs externes. Désormais, nous avons mis en place une filière 100% maison, où l’équipe de développement de mouvements d’Édouard vient travailler avec mes horlogers. Ils récupèrent les composants dont nous avons besoin et, comme nous n’avons pas de plan d’un ressort datant de 1940 par exemple, ils en font un mapping complet avec un scanner high-tech. Ça, c’est de l’avant-garde ! Ensuite les constructeurs vont reprendre ces mappings, les transformer en plans et les fabriquer dans notre atelier de prototypage.
EM : C’est vraiment un super exemple ! J’ajouterais qu’il y a aussi un gros travail de simulation dans ce que tu décris. Nous aurons beau imaginer tous les tests que nous voulons pour user une montre et essayer de simuler 10 ans de portée, la vraie vie est souvent un peu différente des tests. Grâce à l’Héritage, nous avons accès à une mine d’or : des pièces qui ont plusieurs dizaines d’années, 50 ans, 60 ans, voire beaucoup plus encore sur lesquelles nous pouvons réellement voir ce qui s’est passé. C’est fabuleux !
CED : En ce moment, les premiers composants vont pouvoir être intégrés dans les pièces que nous recevons à l’atelier. C’est vraiment une grande satisfaction ! Nous sommes la seule Maison à faire cela, à pousser aussi loin le détail de la restauration à l’identique, le tout complètement en interne.
Quels sont les sujets qui font débat entre vous deux ?
CED : Sur le projet dont nous parlions, l’un des constructeurs d’Edouard est venu nous trouver en nous disant – je paraphrase : “Je comprends pourquoi vous avez beaucoup de retours sur ce type de mouvement, sur ce composant là, il est mal fichu, votre truc !” Et il nous explique comment il pourrait l’améliorer. Mais la question face à ce genre de situation n’est pas anodine : est-ce que nous améliorons un dessin de Léonard de Vinci pour le rendre plus performant, ou est-ce que nous conservons son erreur ? Des discussions quasi philosophiques ! En tout cas, c’est vraiment un ping-pong entre nos équipes.
EM : Oui, cela fascine les constructeurs qui construisent les calibres du futur et l’avenir de la Maison. Non seulement ce projet est rafraîchissant pour eux, mais en plus, comme tu le disais, ça les nourrit pour la suite. Et ça, c’est d’une richesse incroyable !
Etabli d'un expert-horloger restaurant un Mikgrograph de plus de 100 ans
Croquis du Code Carrera ©TAG Heuer
Comment faire en sorte que l’innovation devienne quelque chose que l’on puisse réellement expérimenter et ressentir lorsque l’on porte une montre au poignet ? Même question pour le patrimoine.
EM : Prenons l’exemple de la TAG Heuer Carrera. La montre d’aujourd’hui va avoir 80 heures de réserve de marche. Cela veut dire que l’on peut la laisser tout un week-end sur sa table de chevet et qu’elle continuera à fonctionner parfaitement le lundi matin. C’était inconcevable il y a 30 ans. Cette Carrera moderne dispose aussi d’une étanchéité qui n’a rien à voir avec ses ancêtres. Les lunettes en céramique sont complètement inrayables. Pourtant, son ADN est inchangé, profondément ancré dans l’héritage. Simplement, il a été sublimé par le meilleur de la technologie qui va permettre une fiabilité incroyable. En bref, une expérience parfaite !
CED : Le verre en saphire n’existait pas non plus, on utilisait du plexiglass. Or, le plexi, ça se raye vite, ça vieillit mal et ça jaunit…
Est-ce que tout est bon dans l’héritage ? Et dans l’innovation ?
CED : Non, pas du tout ! Il y a des erreurs, il y a des non-sens, des avortements, des impasses, des choses qu’on préfèrerait laisser sous le tapis. À nous de savoir les accepter, de même que l’on accepte que certaines pistes d’innovation ne sont pas pour nous…
EM : … ou que certaines pistes d’innovation ne fonctionnent tout simplement pas ! L’innovation, plus c’est ambitieux, plus cela prend du temps, plus cela peut parfois se transformer en impasse.
CED : On a parfois l’impression que, parce que c’est vieux, c’est bien, mais ce n’est pas le cas.
EM : Nous devons toujours interpréter l’ADN de la Maison. L’innovation pour l’innovation, ça ne sert à rien, il faut qu’elle serve un propos. J’en reviens à la continuité et la responsabilité dont nous parlions : si nous prenons une décision qui est à 90° par rapport à d’habitude, cela va se voir, donc nous l’écartons ! Nous devons maintenir un cap.
Et quel est ce cap ?
EM : Nous avons la chance d’avoir une marque qui a un lien avec l’automobile, le chronométrage, le sport. C’est une source d’expression sans fin et c’est fabuleux ! Cela signifie que sur toutes les fonctions autour de la fiabilité, la performance, la mesure du temps, nous pouvons nous faire plaisir. D’autres territoires sont occupés par d’autres marques, s’y engager serait un contresens.
CED : Tout à fait ! Nous nous sommes par exemple interrogés sur certaines grandes complications horlogères. Mais nous ne serions pas forcément légitimes sur des faces de lune, des sonneries ou d’autres effets grandioses. En revanche la complication du chronographe – extrêmement difficile à maîtriser proprement, soit dit en passant ! – constitue le véritable ADN de la maison. Il y a un terrain de jeu fantastique à explorer : faut-il concevoir la mesure du temps en tant que précision ou en tant que fiabilité ? Et comment affiche-t-on la mesure du temps, comment l’exprime-t-on ? A qui l’adresse-t-on ? Est-elle réservée aux pilotes, peut-elle toucher une cible plus large ?
Quand vous développez une nouvelle montre, la voie est-elle déjà toute tracée ?
CED : Je me mets toujours au service des nouveaux projets en disant : « voilà l’état des lieux, voici les contraintes, voici ce qui a déjà été fait. Maintenant, laissez infuser ça, imprégnez-vous de ce terreau, et faites vos propositions ! ». En tant que responsable de l’Héritage, je ne veux pas être un fardeau, mais au contraire un tremplin. C’est seulement après que nous allons discuter de l’évolution, de comment une collection va grandir, de quelle couleur elle sera… Dans ce dialogue, je suis une voix parmi celles des marchés et des ventes mais aussi celle de l’intention stratégique du top management.
EM : Je te rejoins tout à fait sur le point de départ. De mon côté, je fais évidemment entendre la voix de l’innovation et de la technologie. Le design a également un mot important à dire dès que l’on parle développement produit… Et puis il y a le marketing, le commercial, il y a énormément de facettes qui contribuent à ce que le produit évolue en lien avec une stratégie. C’est cette façon de travailler ensemble qui donne du sens et de la cohérence à notre démarche.
Ring Master Heuer
Qu’est-ce qui a le plus de valeur : l’innovation et la qualité de cette innovation ou la valeur sentimentale d’un héritage ?
CED : Pour moi, ça transcende les deux. C’est l’émotion que l’on sera capable d’offrir. C’est le design d’une pièce dont, plus on la regarde, plus on se dit qu’elle est belle. C’est son fonctionnement, ses 80 heures de réserve de marche, son étanchéité… Et c’est aussi qu’elle existe depuis 60 ans, qu’elle a une histoire que je porte à mon poignet. C’est tout cela à la fois !
EM : Quand nous réussissons cette alchimie, alors nous sommes contents. C’est la recette du succès. Il ne faut pas oublier que lorsque nous parlons de pièces anciennes, ces pièces étaient innovantes à leur époque. Celles qui sont restées, qui sont entrées dans l’histoire, avaient les caractéristiques dont tu parles, Catherine.
CED : Nous avons tendance à regarder la pièce avec notre œil d’aujourd’hui alors qu’il ne faudrait pas. Aujourd’hui, la Carrera fait partie des design très classiques. Très élégants, mais classiques. À l’époque, elle était innovante, hyper moderne, aussi inattendue que pourrait l’être aujourd’hui la Monaco V4 ou la montre connectée !
Faisons un bond de 100 ans en avant : quelle est la TAG Heuer qui a le plus de valeur ?
CED : Si je pouvais répondre, c’est que la marque aurait perdu son côté innovant, avant-gardiste. Donc, j’espère bien ne pas réussir à faire une prédiction juste !
EM : Très belle réponse !
En matière d’innovation, que vous reste-t-il à explorer ?
EM : L’horlogerie existe depuis plus de 500 ans, selon les définitions que l’on en donne, et pendant tout ce temps, on n’a jamais cessé d’inventer, jamais ! Certains s’étaient empressés de déclarer la fin de l’horlogerie mécanique, mais l’horlogerie mécanique telle que nous la connaissons aujourd’hui n’est pas du tout celle des années 60. Nous avons énormément progressé, et cela continue. C’est un champ d’exploration absolument extraordinaire, car il est à la fois technique et source d’émotions très fortes.
La voie la plus explorée aujourd’hui est celle des matériaux. Nous avons accès à des microscopes électroniques à balayage, à transmission… des outils incroyables qui nous permettent pour ainsi dire de voir l’atome et de dessiner des matériaux en fonction des propriétés souhaitées ! Un composant peut désormais tout à fait avoir deux, trois fonctions. Pendant les dernières années, nous étions parfois découragés par une précision insuffisamment maîtrisée. Tout cela, c’est en train de tomber ! Nous allons pouvoir accéder à des complications plus folles, à des matériaux qui sont esthétiquement complètement différents de ce que nous avions l’habitude d’avoir, avec des propriétés de durabilité incroyables. C’est un nouveau chapitre qui s’ouvre.
Selon vous, d’où vient cette fascination que nous avons pour les montres ?
CED : Il ne faut pas oublier que nous fabriquons des objets qui mesurent le temps, notre temps. Et, étant donné nos modes de vie actuels, notre rapport à ces objets est très intéressant et profond. Clairement, nous n’avons plus besoin d’une montre pour savoir quelle heure il est. Pourtant, nous en avons encore plus besoin qu’avant. Une montre a ce côté visuel – nous parlions tout à l’heure de l’affichage – qui permet de voir le temps qui s’écoule. Ce choix de regarder son propre temps à travers la montre qui nous plaît, il est très fort. Est-ce-que c’est un cadran rond, bleu, carré, blanc, classique, innovant ? Est-ce-que c’est un mouvement mécanique à complication ? Automatique ?
Nous avons aujourd’hui accès à toute cette connaissance et cette beauté de l’artisanat horloger, et nous y prenons un plaisir immense.
EM : Oui, je pense que c’est l’un de ces rares objets qui suscite des interrogations philosophiques sur la mesure du temps. En plus de ça, la montre combine l’aspect très artisanal de l’horloger lisseur qui va faire briller une pièce et cette haute technologie dans la conception, avec des machines derniers cris qui vont chercher des niveaux de précisions quasiment au niveau de l’atome. Avoir ces différents niveaux de lecture dans un seul et même objet, c’est unique.
TAG Heuer Monaco V4, une prouesse technique
Quelle est pour vous la montre la plus méconnue de TAG Heuer ? Celle qui représente le plus l’équilibre entre vos deux expertises ?
EM : Les années 70 sont une période assez méconnue ou, en tout cas, moins en vogue aujourd’hui. Pourtant, c’est pendant cette décennie que le chronosplit est né, l’un des premiers chronographes à quartz et à affichage digital, particulièrement innovant pour l’époque – presque l’ancêtre de la montre connectée. J’adore cette période et ce modèle car il montre notre côté disruptif. Technologiquement, je pense même qu’il a contribué au développement du quartz, aujourd’hui capital pour nous. TAG Heuer fait partie de ces maisons qui ont été pionnières sur ce terrain et qui en tirent de vraies lettres de noblesse.
CED : Ma pièce préférée n’est pas si méconnue que ça, surtout parce que j’en parle souvent ! Mais quand je l’ai découverte, elle m’a bluffé et je l’adore : c’est la Ring Master. Edouard, tu parlais de l’inspiration pour la montre connectée. Pour moi, c’est la Ring Master qui est son véritable ancêtre. Elle est sortie en 1957. C’est un compteur de sport 7 en 1 – c’est-à-dire que vous pouviez dévisser la glace et changer les anneaux qui donnent l’échelle du temps. Avec, vous pouviez passer du chronométrage d’un match de boxe au chronométrage d’un 100 mètres, en passant par le départ de régates. Ce qui a fini de me conquérir, c’est que le 7ème anneau était vierge, pour que vous puissiez vous-même y placer vos indications de temps ! Pour cuire vos œufs, pour le parcours que vous faites en voiture, pour optimiser le freinage et l’accélération… selon votre imagination.
Ce côté mécanique et modulaire est assez incroyable puisque nous n’avions pas d’autres possibilités à l’époque. Si la Ring Master est restée relativement peu connue c’est qu’apparemment elle n’était pas facile à vendre. Je peux le comprendre, c’est vrai que le concept est un peu fou. Mais quand mes collègues ont amené les premières montres connectées, je me suis dit que c’était la même chose ! Vous proposez la mesure du temps sur le même objet en fonction du moment et de ce que vous faites : sur la montre connectée d’aujourd’hui, on passe du golf à la natation, c’est la même logique.
Dans 20 ans, quelle sera la place de la montre connectée dans l’histoire de TAG Heuer et dans l’histoire tout court ?
EM : Je suis convaincu qu’on en parlera encore, qu’elle aura marqué les esprits. D’autant plus que TAG Heuer a été le premier à se lancer sur ce terrain. Après, que sera la montre connectée dans 20 ans ? Est-ce qu’elle aura la même tête qu’aujourd’hui ? Très certainement que non. Quelles seront ses fonctionnalités ? Il y a encore énormément de choses à inventer.
CED : Je suis d’accord, 2015, la première montre connectée, c’est vraiment une date historique. C’est d’ailleurs également l’année où nous avons sorti notre Heuer 02 Tourbillon. Pour TAG Heuer, c’était capital de pouvoir lancer dans une même année la plus emblématique des complications avec le tourbillon ET la pièce la plus innovante de l’horlogerie actuelle.
Faites-nous rêver, parlez-nous d’un début de projet que vous menez actuellement ensemble.
CED : De quoi parle-t-on, Edouard ?
EM : Peut-être de ce modèle qui va bientôt sortir… ?
CED : C’est ce à quoi je pensais ! Nous sommes sur le développement d’une pièce unique, à partir d’une de nos collections les plus iconiques et d’un modèle très particulier de cette collection dont nous reprenons les codes… en les transformant complètement !
EM : Nous les revisitons avec de la technologie qui est à la fois au service de l’esthétique et de la performance. Cette pièce unique sera le premier chapitre d’une nouvelle aventure…
Nous avons hâte ! Merci à vous deux de nous avoir emmené si loin dans votre univers.