HISTOIRES Gardiens du temps : André Lotterer, pilote de Formule E

Pilote de l'écurie de Formule E TAG Heuer Porsche

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Dans cette série d'interviews, nous partons à la rencontre de gardiens du temps venus de tous horizons – des individus pour qui le temps n'a vraiment pas de prix. Il ne s'agit pas toujours d'ambassadeurs TAG Heuer, mais tous ont un point commun : pour eux, chaque fraction de seconde vaut de l'or. Et pour ne rien gâter, ils ont mille choses passionnantes à raconter : chefs, pilotes, chirurgiens ou encore DJ’s, découvrez comment les meilleurs mesurent, transforment et voyagent dans le temps.

Cette semaine, nous partons à la rencontre d’André Lotterer dans les montagnes autrichiennes du Tyrol, où le pilote allemand entretient sa condition physique avec une session de ski de fond de 3 heures et demie en haute altitude, en attendant le lancement de la septième saison de Formule E.

À quand remonte votre coup de foudre avec les voitures ? Quel âge aviez-vous et qu’est-ce qui vous a plu ? L’apparence, la puissance, la vitesse ?

Ça a commencé très tôt car mon père était directeur sportif d’une écurie automobile en Belgique, et ma mère m’emmenait souvent voir les courses quand j’étais gamin. Aussi loin que je me souvienne, il y a toujours eu des voitures de course autour de moi. Je ne savais même pas marcher, mais déjà, j’adorais ça. Enfant, j’idolâtrais les pilotes de course et j’ai toujours voulu en devenir un moi aussi. C’est là que j’ai attrapé le « virus », si tant est que l’on puisse employer ce terme à l’heure actuelle ! Et cette histoire d’amour avec les voitures dure toujours.

 

Le vacarme, les odeurs, tout l’expérience sensorielle autour de la course, ça devait être complètement fou de vivre ça pour un enfant…

C’était génial. Parfois, mon père m’emmenait aux séances d’entraînement. À la fin, on me laissait m’asseoir dans le siège du co-pilote et je ne voyais même pas la route ! Mais le frisson était là ! Mon père savait très bien ce qu’il faisait. C’est moi qui ne savais pas encore !

Je n’oublierai jamais le moment où il m’a offert un kart. Avant ça, j’avais un kart à pédales. Il m’emmenait à l’atelier, demandait aux mécaniciens de nettoyer le sol et me poussait. Et ça le faisait beaucoup rire car déjà à l’époque, je contre-braquais et je partais en dérapage…

Mais ça n’allait pas assez vite. Une semaine plus tard, nous sommes revenus au magasin et mon père a vu qu’il y avait un kart pour enfants à vendre. Nous l’avons regardé, et il m’a demandé très sérieusement si j’avais l’intention d’en faire. J’avais sept ans. Il m’a dit : « Ce sont des choses sérieuses. Ça coûte cher. Si tu en veux un, il faut en faire sérieusement. Je ne veux pas que tu laisses tomber au bout d’un mois pour aller jouer au tennis ou au football ». Alors, j’ai dit oui, et je suis rentré en courant à la maison pour annoncer la nouvelle à ma mère. Elle s’est exclamée « oh mon dieu ». Connaissant le perfectionnisme de mon père, elle savait que c’était le début d’une folle aventure pour que je devienne pilote de course. Et mes parents ont fait beaucoup de sacrifices pour m’aider.

On imagine bien la scène : vous au volant, mais trop petit pour voir ce qui se passe au-dessus du tableau de bord…

C’était amusant avec mon premier kart , car mes parents le mettaient à l’arrière de leur véhicule, ils s’asseyaient devant, et moi, je m’installais dans le siège du kart pendant toute la durée du trajet. C’était ma place attitrée.

 

Outre l’intuition de votre père et le soutien de vos parents, il est clair que vous étiez naturellement doué. Quel a été le moment décisif où vous vous êtes dit : « Je sens que je peux devenir pilote de haut niveau » ?

Jusqu’à 12, 13 ans, c’était surtout mon père qui me poussait car quand on est enfant, ça reste un jeu ! Et ma mère était toujours là pour le lui rappeler quand il essayait de me pousser un peu trop. Mais si j’ai fait cette carrière, c’est grâce au niveau d’exigence qu’il a eu envers moi.

C’est à l’âge de 13 ans qu’il y a eu un déclic. J’ai commencé à m’intéresser aux pilotes de karting qui couraient sur le circuit international. Ils avaient un autocollant qui leur était réservé. Et je rêvais moi aussi d’avoir cet autocollant car seuls les pilotes faisant partie d’une écurie en avaient un. Dès lors, j’ai commencé à y consacrer toute mon énergie.

Pour ceux qui ne connaissent pas la Formule E, en quoi cette compétition est-elle différente, et pourquoi est-elle si passionnante à disputer en ce moment?

La Formule E est passionnante pour bien des raisons. Tout d’abord, elle représente l’avenir de la course automobile. Il y a beaucoup d’innovation et les courses ont lieu dans les rues, au plus près du public, ce qui attire de nouveaux spectateurs. Les voitures sont très proches en termes de performances, ce qui donne plus d’importance à la technique de pilotage – et pour nous, conduire dans ces rues, déraper sur des chaussées étroites et gérer cette intensité est un magnifique défi. Même si nos véhicules sont un peu moins puissants que les voitures à combustion classiques, les conduire dans un environnement urbain est beaucoup plus difficile que d’aller à 250 km/h sur un vrai circuit.

En Formule E, on travaille énormément dans le simulateur avec l’équipe pour se préparer à toutes les éventualités, car on part vraiment dans l’inconnu. Impossible de s’entraîner en ville ! Il faut être vraiment préparé. Il y a tellement de scénarios possibles. Sportivement, c’est un super défi, mais c’est aussi très cérébral. On recherche l’efficacité optimale en permanence, à chaque virage, pour tenter de prendre le dessus sur les autres. Ça tient à une multitude de petits détails.

 

En Formule E, il y a cette impression d’inventer le monde de demain. Est-ce que ce manque d’«histoire» vous manque, ou trouvez-vous cela libérateur de contribuer à créer quelque chose de nouveau ?

Je trouve qu’aujourd’hui, c’est vraiment important de faire des choses qui ont du sens. S’éclater au volant, c’est très bien. Mais il y a autre chose qui me plaît beaucoup en Formule E. C’est une course de vitesse, mais c’est aussi une course à l’efficience. Et c’est fondamental. En tant qu’êtres humains, nous avons tous la responsabilité de faire quelque chose pour la planète – sauf que nous, nous avons les meilleurs ingénieurs et les meilleures ressources à notre disposition. La Formule E, c’est repousser les limites au quotidien et inspirer les gens pour qu’ils adoptent des véhicules électriques et fassent du bien à la planète. Au-delà de l’aspect technologique, le but est aussi de montrer que l’on peut faire des trucs dingues avec les voitures électriques. Il n’y a qu’à voir l’intensité des courses.

Quels sont les moments qui comptent le plus pour vous avant une course ? La veille au soir ? La seconde même avant le départ ?

Pour moi, c’est la demi-heure qui précède les qualifications. Car normalement, notre puissance est de 200 kwh. C’est la puissance standard. Mais en qualifications, nous sommes autorisés à conduire à 250 kilowatts/h, soit une différence considérable, que nous ne pouvons que rarement utiliser. Une fois seulement à la première et à la deuxième séance d’essais libres. Cela signifie que vos points de repères, vos points de freinage et vos vitesses de référence vont être beaucoup plus élevés l’espace d’un seul tour, et vous n’avez pas le droit à l’erreur. Les qualifications génèrent beaucoup de stress. Il y a un vrai facteur X, mais vous voulez réaliser le tour parfait. À ce moment-là, le stress commence à influer sur votre mental.

Votre course, vous la faites contre la montre, contre les autres ou contre vous-même ?

Surtout contre moi-même, je pense. Je me dis toujours que si je mets mon équipe dans la meilleure position et qu’on arrive à exploiter tout notre potentiel, on devrait être en tête. C’est ça le plus gros défi pour moi. Il faut être extrêmement critique. Chaque fois que vous approchez un virage, vous freinez, et vous vous demandez comment vous auriez pu prendre ce virage encore plus vite. Naturellement, vous cherchez à battre les autres pilotes, mais vous essayez avant tout d’optimiser vos propres performances. Comment dépasser quelqu’un ? Ce n’est pas tant l’adversaire qui compte, mais moi-même : comment puis-je profiter au maximum de cette situation ?

 

Concernant l’auto-critique et les décisions difficiles à prendre, quelle est votre conscience du temps à bord de votre véhicule ? Avez-vous un chronomètre sur votre tableau de bord ? Quel indicateur regardez-vous ?

En Formule E, on s’intéresse principalement à deux indicateurs. Je regarde les chronos sur un écran quand je prends un virage et je vérifie si je suis mieux ou moins bien classé. L’autre indicateur, c’est l’énergie, pour vous assurer que votre conduite est efficiente. Ce sont les deux indicateurs que vous cherchez à optimiser constamment. Si vous constatez que vous avez perdu du temps ou de l’énergie, vous vous en voulez énormément.

Dans ces moments de pression extrême, est-ce que le temps passe vite ou lentement ? Après une course, gardez-vous un souvenir précis de chaque séquence, ou est-ce flou dans votre esprit ?

C’est une bonne question. C’est assez flou, car je suis hyper concentré dans l’instant présent. Parfois, je ne sais pas ce qui s’est passé, car on s’en remet beaucoup à son instinct. Si on commence à réfléchir, on est déjà en retard ! Le but, c’est d’être tellement bien préparé et tellement dans le rythme que tout se passe de manière instinctive. C’est alors seulement que l’on peut espérer appliquer une stratégie. Et quand tout s’imbrique comme il faut, vous entrez comme dans un état second.

 

Revenons aux courses d’endurance : dans une course comme les 24 heures du Mans, la gestion du temps est cruciale. Comment appréhendez-vous cela ?

Pour moi, c’est très simple. Il y a deux choses : la première, c’est d’être à 100%, car au Mans, on peut facilement se dire « Bon, je fais attention », et vous ne conduisez qu’à 98% ou 99% de votre potentiel. Mais si vous faites ça, vous gaspillez le budget de l’écurie et vous n’utilisez pas pleinement le potentiel du véhicule. D’un autre côté, si vous conduisez à 101%, tout peut bien se passer, jusqu’au moment où vous allez sortir de piste ou taper une autre voiture, ce qui revient aussi à tout gâcher. Donc l’idée, au Mans, c’est vraiment d’optimiser ses capacités et d’être pile à 100% – pas plus, pas moins – en permanence. Trouver la bonne dose de risque, et exploiter au mieux le potentiel de la voiture à chaque instant.

Et puis, au Mans, il faut aussi une sorte de sixième sens. Il y a plusieurs catégories de voitures qui roulent sur le circuit à différentes vitesses, et lorsque vous devez dépasser ou contourner des voitures plus lentes, il faut être capable d’anticiper le comportement du pilote. C’est indispensable pour éviter les collisions.

« On s'en remet beaucoup à son instinct. Si on commence à réfléchir, on est déjà en retard ! »

ANDRÉ LOTTERER PILOTE DE L'ÉCURIE DE FORMULE E TAG HEUER PORSCHE

Quand vous êtes parfaitement réglé sur cette jauge de 100% et que tout se passe comme prévu, quelles sont vos sensations physiques ?

Quand tout se passe bien, il y a un sentiment de plénitude énorme. Vous ne faites plus qu’un avec la voiture. Vous avez l’impression de vous amuser avec la voiture, et en même temps, c’est là que vous faites vos meilleurs temps. Quand tout est bien aligné, vous avez l’impression de voler. Et c’est du plaisir pur car ça se passe sans effort. Parfois, vous pouvez même pousser vos limites sans avoir l’impression de forcer, et vous ne voulez pas que ça s’arrête tellement c’est bon.

 

Tout a commencé pour vous à l’âge de sept ans, alors que vous ne pouviez même pas voir au-dessus du volant. Comment votre perception du temps a-t-elle changé depuis ? Est-ce qu’il passe plus vite, ou plus lentement ?

Plus vite, c’est certain, et je pense que c’est pareil pour chacun d’entre nous. Je m’interrogeais justement à ce sujet, et je pense qu’à l’âge d’un an, une année représente 100% de votre vécu. À deux ans, une année ne représente plus que 50% de votre vécu, et ainsi de suite. Alors, à mon âge, une année compte de moins en moins. Mais je m’estime chanceux. J’ai bien profité. Dès le début, j’ai eu la chance de baigner dans le milieu du sport automobile. J’ai vu ce sport évoluer au fil des époques, d’abord à travers l’écurie de mon père en rallye, puis j’ai connu toutes les voitures incroyables des années 1980 et 1990. Quand je suis passé professionnel, j’ai assisté à la modernisation des circuits, puis au passage des véhicules diesel et hybrides aux voitures 100% électriques. Ç’a été une aventure magnifique. Il y a toujours de nouvelles surprises. Et j’espère que ce n’est pas terminé.

 

Un autre stéréotype sur le temps qui passe est que dans la répétition, le temps passe très vite car le cerveau n’a pas besoin de créer de nouvelles synapses. Mais si l’on change constamment sa manière de faire, ou quand on voyage beaucoup, le cerveau doit allonger le temps. Alors, selon la manière dont on évolue dans sa carrière, si l’on recherche sans cesse de nouveaux défis, le temps doit s’allonger bien davantage que pour la plupart des gens. Avez-vous toujours la même montre fétiche ?

Je devais être un poids pour mes parents vu tout l’argent qu’ils ont dépensé pour ma carrière ! Mais pour mes 18 ans, je tenais absolument à avoir une montre TAG Heuer et ils ont réussi à me l’offrir. C’était une TAG Heuer Link et je la portais tout le temps.

 

Et aujourd’hui ?

Je porte beaucoup l’ancienne montre de mon père. Une Heuer d’époque.

Qu’avez-vous fait de spécial pendant cette « parenthèse » qu’a été l’année 2020 ?

Ce fut intéressant car j’avais tellement l’habitude de courir partout et de prendre l’avion deux fois par semaine … et d’un coup stop ! Plus rien. Sincèrement, ç’a été assez appréciable pour quelqu’un comme moi de pouvoir tout mettre en pause, recharger les batteries et mettre à profit ce temps libre. En commençant par me poser un peu pour réfléchir à ce qu’est ma vie en dehors des circuits, à faire autre chose que de poursuivre constamment des objectifs. Avoir la chance de pouvoir se dire : Qu’est-ce que je fais ? Qui suis-je ? C’était beau car j’ai pu passer du temps avec ma mère et ma fiancée, et passer des bons moments avec des gens que j’aime, en toute simplicité. Voilà ce que cela m’a apporté : profiter des plaisirs simples comme planter des légumes et cuisiner, revenir aux fondamentaux.

 

Que vous inspire la collaboration entre Porsche et TAG Heuer, qu’est-ce que cela signifie pour vous de voir se rapprocher ces deux marques hors norme ?

Quand j’ai appris le lancement de ce partenariat, je venais de rejoindre l’équipe, et TAG Heuer venait d’être désigné chronométreur et sponsor officiel. J’étais fou de joie car ce sont deux de mes marques préférées. D’autres écuries m’ont proposé de les rejoindre, mais j’ai toujours souhaité rester avec Porsche. Et depuis mon enfance, TAG Heuer est ma marque préférée car j’étais un immense fan d’Ayrton Senna. Son style de conduite m’a beaucoup inspiré. Voir réunies ces deux marques de légende qui ont tellement compté dans l’histoire du sport automobile, et en faire partie… Ça compte énormément pour moi. C’est un vrai privilège.

 

Et vous allez gagner, n’est-ce pas ?

C’est le but ! Je m’entraîne tous les jours, je motive l’équipe et je mets toutes les chances de mon côté. Vous pouvez compter sur moi pour tout donner.

Le Championnat du monde de Formule E ABB FIA 2020/21 débute à Diriyah (Arabie Saoudite) le 26 février. Engagée pour la deuxième année dans cette compétition, l’écurie TAG Heuer Porsche sera représentée par André Lotterer et son compatriote Pascal Wehrlein.