Style de vie SACRÉ GEORGE : George Bamford, sans filtre.
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George Bamford est assis dans un décor de cathédrale blanc mat avec quatre appareils photo braqués sur lui. Une inversion des rôles en quelque sorte, puisque George a longtemps été un grand photographe de mode chaperonné par le célèbre David Bailey. Mais aujourd’hui, c’est vers lui que les objectifs convergent. Et surtout, vers la montre qu’il porte au poignet.
Je l’observe depuis la mezzanine verte d’Iris, son studio photo aux allures de cathédrale dissimulé dans une ruelle pavée du quartier chic de Chelsea, au sud-ouest de Londres. Une adresse difficile à trouver, mais le jeu en vaut la chandelle, et la montre en question – une Aquaracer noire fumée et orange vif – récompense notre longue attente.
Une fois la séance photo terminée, nous tirons M. Bamford à l’écart des spotlights pour une petite conversation en coulisses. « Est-ce que je dois prendre ma fiche ? », demande-t-il. Alors, on le prévient : pas besoin de tricher aujourd’hui, nous irons droit au but.
The Edge: Vous aimez avoir les objectifs braqués sur vous ?
Bamford: Non, je déteste ça ! [éclats de rires] Ce n’est pas pour rien que j’ai voulu devenir photographe. J’aime être derrière l’objectif, pas devant ! Cela dit, aujourd’hui c’était super.
Son bombers fétiche dégage une certaine exubérance. Il paraît sérieux et farceur à la fois, juste entre les deux. Son visage est en partie recouvert d’un bandana bleu – le seul moyen de se protéger, nous indique-t-il, sans faire de buée sur les lunettes. Bon à savoir. Alors que nous passons devant une table garnie de sucreries, George recommande les brownies au chocolat. « Ils sont excellents », assure-t-il.
The Edge: Nous allons parler de choses et d’autres dans cet interview, mais pour nos lecteurs qui ne connaissent pas toute l’histoire, pourriez-vous résumer cette montre en trois mots ?
Bamford: Pas facile…
The Edge: Trois mots, pas un de plus !
Bamford: Très bien. Ultime, outil, montre.
The Edge: Il s’agit d’une montre de plongée en effet. Quelle est la profondeur maximale à laquelle vous ayez plongé ? À moins que vous soyez plutôt du genre Icare, à vouloir tutoyer le soleil ?
Bamford: On non, je préfère la plongée sous-marine. J’aime ce sentiment de liberté, cette impression de flotter dans l’espace. Jusqu’à quelle profondeur avez-vous déjà plongé ? À une profondeur suffisante pour rester deux ou trois minutes. C’était à l’époque où j’essayais de tout chronométrer, les plongées nocturnes, dans les épaves, au milieu des requins. J’étais un geek de la plongée – du genre à utiliser des mélanges d’oxygène spéciaux et tous ces trucs-là. Mais je n’en ai pas fait depuis un moment car j’ai eu trois accidents de plongée.
The Edge: Un Icare des profondeurs en quelque sorte ?
Bamford: Exactement. J’ai peut-être voulu aller un peu trop loin. Depuis je me suis calmé.
The Edge: Êtes-vous sportif en général ?
Bamford: Oui. Mais maintenant, je suis plutôt course à pied, cyclisme, et escalade. Pas sports collectifs. Avant, j’étais à l’aise avec les groupes, mais aujourd’hui je sature au-dessus de deux ou trois personnes.
The Edge: Vous conduisez vite ?
Bamford: Oh oui.
The Edge: Quelle est votre vitesse moyenne ?
Bamford: Et bien, officiellement, ma vitesse moyenne correspond exactement à la limite de vitesse autorisée, naturellement.
The Edge: Mais sur un circuit sécurisé par exemple ?
Bamford: Si je suis sur un circuit, alors je vais aussi vite que mes capacités le permettent. Sur un circuit, vous êtes toujours en compétition avec quelqu’un d’autre, alors il est normal d’avoir le pied collé au plancher.
The Edge:Vos créations témoignent d’une grande capacité d’imagination et de réinvention. Le fait de toujours se renouveler doit induire une certaine pression ? Sans oublier la pression du chef d’entreprise au sens large. Est-ce que vous aimez cette pression ?
Bamford: Sincèrement ? Oui. Il y a une citation de Winston Churchill inscrite sur le mur de mon bureau : « Le succès n’est pas final. L’échec n’est pas fatal. C’est le courage de continuer qui compte. »Pour moi, ce qui compte, c’est de me réveiller le matin et de me dire : Est-ce que j’ai envie de passer une super journée ? Ou juste une journée normale ? Quand vous êtes photographe, la seule photo qui compte, c’est la dernière que vous avez faite. Pour les montres, c’est pareil, je ne vaux pas plus que la dernière montre que j’ai créée. Mais c’est une bonne chose car ainsi, chaque jour est différent.
The Edge: Et vous n’avez jamais peur que cette énergie créatrice finisse par s’amenuiser ?
Bamford: Les sources d’inspiration changent ! Il faut juste jouer avec. Se faire plaisir. En ce moment, on ne peut pas voyager, alors je puise mon inspiration dans les livres, la télévision, les réseaux sociaux, les conversations et des choses plus casanières. Ça m’a aidé à dresser toute une liste de choses que je voudrais faire après. Quand tout cela sera terminé, je prendrai cette montre et j’irai à Lalibela. C’est l’endroit où se trouvent les plus belles églises d’Éthiopie. Ce sont des églises perchées dans les montagnes, façonnées à même la roche et creusées dans le sol, c’est d’une beauté époustouflante. Je ressens le besoin d’aller là-bas. Je ne sais pas pourquoi. Ça m’attire, les couleurs, l’ensemble. Je veux aller dans ces montagnes. J’ai vu des photos et aujourd’hui je meurs juste d’envie de les voir en vrai.
The Edge: Le confinement a donc été une période de recherche pour vous. C’est ce qui s’appelle faire bon usage du temps !
Bamford: Qu’est-ce que vous préférez ? Vous avachir dans le canapé et finir avec un ventre énorme, ou sortir du confinement en pleine forme ? Pour moi, le choix est vite fait…
The Edge: Vous avez bien une petite faiblesse quand même ? Noël approche, qu’est-ce que vous placeriez sur votre liste ?
Bamford: Cette montre. Sincèrement, si je voulais me faire un cadeau, ce serait cette montre. Je l’ai conçue comme mon objet idéal. Sinon, le luxe que je m’accorderais serait de passer du temps en famille. Être avec mes proches. Cuisiner pour eux.
The Edge: Quel est votre plat signature ?
Bamford: Mes enfants vous diront que ce sont les pâtes à la bolognaise. Mon épouse dirait que c’est le pain cocotte.
The Edge: Le pain cocotte ? Avec les nervures ? Un peu marbré ?
Bamford: Exactement. Mais mon véritable plat signature, ce sont les raviolis maison avec un petit œuf.
The Edge: Un jaune d’œuf dans chaque ravioli ? Avec quelle sauce ? Beurre et sauge ?
Bamford: Quelque chose comme ça, une garniture simple, juste pour que ça ressorte. Des tomates fraîches.
The Edge: Ça donne faim. On aimerait en savoir plus sur ces raviolis ! Mais revenons à nos moutons. La devise de votre famille, c’est « Jamais satisfait ».
Bamford: En effet. Il y a toujours moyen d’améliorer les choses.
The Edge: Quel effet ça fait d’être dans votre tête ? Est-ce que vous voyez le monde comme un endroit rempli d’objets à améliorer ? Possédez-vous une sorte de vision traversante ?
Bamford: Des amis me disent – notamment en ce qui concerne mes goûts musicaux – que ça doit être dingue d’être dans ma tête. Mais j’ai envie de dire que non. Je ne fais pas partie de ces gens pour qui rien n’est jamais comme il faut. Mais cela m’arrive de regarder quelque chose et de me dire « Oh mon Dieu, moi j’aurais fait ça autrement ». Je me fie à mon instinct. Mais en réalité, si je suis intransigeant, c’est surtout vis-à-vis de moi-même.
The Edge: Existe-t-il des objets de design qui seraient déjà parfaits pour vous ? Non « bamfordisables », si vous préférez !
Bamford: C’est une bonne question. Vous savez, si un extraterrestre regardait les humains, il s’extasierait certainement sur leur perfection. En termes de design, nous sommes exceptionnellement bien conçus, il faut le dire. Sinon, côté montres, j’ai un gros faible pour la Heuer Skipper. Comment créer quelque chose de plus parfait ?
The Edge: En effet. C’est une montre superbe. Quelle est la chose la plus farfelue que vous collectionnez ?
Bamford: La plus farfelue ? Humm…Je dirais des chronomètres vintage, mais j’imagine que ce n’est pas si étrange. Je fais faire des boîtes individuelles exprès et je les empile sur le mur de mon bureau.
ll prend son téléphone pour nous montrer. Les photos des chronomètres – des modèles Heuer d’époque pour la plupart – sont magnifiques.
The Edge: Ça fait penser à des disques en platine miniature…
Bamford: Exactement. Ça brille juste comme il faut. Oh, j’oubliais ! Il y a la vodka aussi ! C’est mon autre collection farfelue. À l’époque où ça m’arrivait de boire occasionnellement, je collectionnais des vodkas russes d’avant-guerre. Il fallait qu’elles soient d’avant-guerre ! Elles ont un goût différent.
The Edge: Quelle carrière auriez-vous menée dans une vie parallèle ? Votre regret en quelque sorte ?
Bamford: Je ne regrette jamais rien.
The Edge: Jamais ?
Bamford: Sincèrement, quels que soient mes succès ou mes échecs, je pense que tout cela a contribué à m’amener là où je suis aujourd’hui.
The Edge: Donc, pas de rêve secret d’avoir fait chanteur d’opéra ?
Bamford: J’aurais aimé jouer du piano. Pouvoir jouer de manière totalement libre, vous voyez ? Il y a un type incroyable qui a réussi à apprendre le piano en un an en jouant pendant son temps libre. Sur Youtube et tout ! Vous l’entendez jouer et vous vous dites juste : « Wow. Comment il a fait ? » C’est insensé.
The Edge: Est-ce qu’il y a des choses que vous aimeriez faire mais que vous n’avez pas encore eu le temps de faire ? Et quel sentiment ça vous inspire ? De l’excitation ? De l’agacement ?
Bamford: De l’excitation. Chaque jour, je me demande comment aller plus loin.
The Edge: À quelle heure vous levez-vous le matin ?
Bamford: À 5 heures, naturellement.
The Edge: Pas mal. Et quand savez-vous que le moment est venu de vous arrêter ?
Bamford: Professionnellement, je ne m’arrête jamais ! Mais pour ce qui est de personnaliser, je suis mon instinct. Lorsque je conçois quelque chose comme cette montre, je jette toutes mes idées sur la table. Tout ce qui me vient, je note ça sur des bouts de papier que j’accroche partout au mur. Puis j’écrème au fur et à mesure. C’est comme de l’affinage. Modifier, modifier, modifier. Jusqu’à ce que ça prenne forme.
The Edge: Vous préférez le grand déballage d’idées, ou la mise en forme progressive ?
Bamford: Ce que je préfère, c’est le moment où je me dis – « Voilà, c’est ça ! ». Le truc qui fait que je serais prêt à voler cet objet.
The Edge: La convoitise qu’il suscite, d’une certaine manière.
Bamford: C’est le signe d’une bonne montre. Si j’ai envie de la voler, c’est que je la veux à mon poignet. Cette nouvelle Aquaracer, par exemple, je l’ai laissée en bas et ça me met en rogne. Ça me met en rogne qu’elle ne soit pas à mon poignet. Ça me contrarie profondément.
The Edge: Enfant, vous aimiez démonter les choses et les assembler à nouveau. Y a-t-il quelque chose que vous ne pourriez pas démonter ou réassembler ?
Bamford: Il y a un tas de choses que je ne serais pas capable de réassembler….
The Edge: Qu’est-ce qui vous a donné le plus de fil à retordre ?
Bamford: Notre vieux téléviseur peut-être ? J’avais huit ou neuf ans.Je l’ai réduit en miettes.
The Edge: Vous n’avez pas pris de coup de jus au moins ?
Bamford: Non, car je faisais déjà attention à ces choses-là. C’était un vieux téléviseur à tube cathodique.
The Edge: C’est l’origine de Youtube ! C’est de là que vient le nom.
Bamford: C’est ça. Mais j’ai fait griller un des composants et ça a abîmé l’arrière du téléviseur. On a été privés de télé pendant un moment après ça…
The Edge: Vous l’aviez cherché !
Bamford: Et je ne sais toujours pas changer une télé ! Pendant le confinement, j’ai retiré le radiateur de ma voiture et je l’ai remis, et elle roule. Mais est-ce que je suis sûr de mon coup ? Il faudrait que je demande à quelqu’un de vérifier.
The Edge: C’est une preuve d’humilité…
Bamford: Je vais plus vite que mes horlogers pour démonter et réassembler les composants d’une montre. Sincèrement, je n’ai pas leur technique, mais si on fait la course, en termes de vitesse pure, c’est moi qui gagne.
The Edge: La compétition est le meilleur stimulant, n’est-ce pas ! Ce qui nous amène à ce magazine. Que signifie ‘The Edge’ pour vous ?
Bamford: Vous savez à quoi ça me fait penser ? À mes chevauchées à flanc de falaise dans l’Utah. Vous êtes à cheval au bord du vide et il n’y a aucune barrière pour vous protéger. C’est une expérience complètement dingue. Je pense toujours à cette idée de ligne de crête. La ligne ténue entre la raison et la folie. C’est pareil avec la vie et la mort. Que ce soit en ski ou en plongée sous-marine, j’ai toujours été « borderline ». Il faut toujours être à la limite, se pousser dans ses retranchements.
The Edge: Une fois, vous avez dit que le seul moyen de prédire l’avenir, c’est de le créer.
Bamford: C’est tout à fait ça. Il faut anticiper le futur, le créer soi-même. La chance joue une grande part là-dedans, mais la chance, ça se provoque. Il faut être actif dans la vie. Sinon, vous ne trouverez pas ce que vous cherchez. Vous ne trouverez pas votre moitié, vous ne trouverez pas d’employeur. Si vous restez chez vous assis dans le canapé, à quoi ça sert ? Vous gâchez votre vie.
The Edge: Il est bientôt temps de vous laisser, George. Avant de conclure, vous êtes un homme qui a été beaucoup interviewé. Y a-t-il une question à laquelle vous mourez d’envie de répondre, mais qu’on ne vous a jamais posée ?
Bamford: C’est une question que je pose toujours aux autres. Il s’agit des éléments qui définissent l’essence d’une personne. Nous avons déjà parlé de mes grands principes de vie, mais c’est une chose à laquelle je pense souvent. Quelle est la citation qui définit une personne, qui lui donne son identité ? Si vous me coupez en deux par exemple, que trouverez-vous ?
The Edge: Je vais chercher mon couteau.
Bamford: En parlant de ça, j’ai une nouvelle citation.
Il tire une carte de sa poche et nous la donne. Cela pourrait ressembler à une carte de visite un peu spéciale, mais non, car celle de Mr Bamford est en métal, avec un poids suffisant pour qu’on puisse la sentir dans sa poche. Cette carte sert à autre chose. Nous la retournons et découvrons l’inscription suivante : « Si j’étais la tasse de thé de tout le monde, je serais un mug ».
The Edge: C’est brillant.
Bamford: J’ai tout un tas de cartes…
The Edge: Toutes avec un message différent ?
Bamford: Exactement.
Il nous en donne une autre. « C’est dingue », annonce-t-il.
The Edge: C’est incroyable. Une carte à jouer à l’effigie de George Bamford.
Bamford: J’ai toujours aimé l’idée d’offrir quelque chose qui donne le sourire. Il y a des gros mots, des blagues, toutes sortes de choses. Je me dis que si vous arrivez à offrir quelque chose de surprenant, la personne s’en souviendra…
The Edge: On ne pouvait pas faire mieux comme mot de la fin, George. Et maintenant que vous nous avez donné cette carte, vous pouvez disposer.
Bamford: Enfin libre ! Merci. Vous êtes libre vous aussi. Vous voulez voir mes montres d’époque ?
Alors descendons. Il extrait deux étuis en cuir souple d’un grand sac en cuir. Ces étuis abritent une collection – pas toute sa collection, pensez-vous – de montres Heuer et TAG Heuer vintage. Une Heuer Ferrari Chronosplit en acier satiné bien galbée, des Monaco, des Carrera.
On se dit en plaisantant qu’il aurait pu être VRP. Un VRP de luxe, bien entendu. Mais non, Mr Bamford n’a pas l’intention de revendre ses trésors. Il n’est pas encore certain de celle qu’il portera ce week-end, alors nous finirons avec un adage cher aux scouts : Toujours se tenir prêt.
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