HISTOIRES Gardiens du temps : Niklas Krellenberg, champion d'e-sport

Rencontre avec le fer de lance de la course virtuelle

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Dans cette série d’interviews, nous partons à la rencontre de gardiens du temps venus de tous horizons. Nos invités sont témoins de l'importance d'une milliseconde et nous partagent leurs expériences passionnantes sur le sujet. Entrepreneurs, athlètes, artistes, en passant par la découverte de merveilles de fabrication intemporelle, venez découvrir comment le meilleur des meilleurs traverse le temps tel qu'on le connait.

Niklas Krellenberg, champion d'e-sport

Cette semaine, nous avons rendez-vous avec un sportif quelque peu atypique. Il s’agit de Niklas Krellenberg, dit « aTTaX Johnson », un jeune champion allemand de course automobile virtuelle — le tout premier champion du monde eSports WRC —, désormais chef de projet en charge des compétitions d’e-sport chez Porsche. L’une de ses principales missions est de promouvoir les activités de Porsche en matière d’e-sport à l’échelle mondiale, en qualité d’organisateur de la Supercoupe Porsche TAG Heuer Esports et de consultant interne pour tout ce qui a trait à l’e-sport.

Mais qu’est-ce donc que l’e-sport, me direz-vous ? Ce phénomène en plein essor regroupe tous les jeux vidéo donnant lieu à des compétitions, et le rôle de Niklas est désormais de contribuer à leur développement.

Niklas, quand et comment avez-vous attrapé le virus de l’e-sport ?

Tout a commencé avec Project Gotham Racing 3, qui était le jeu de course à la mode en 2005. J’y jouais pour m’amuser avec mes amis en ligne. Assez rapidement, je me suis rendu compte que j’arrivais à réaliser les meilleurs temps, ce qui m’a valu des propositions pour rejoindre des équipes d’e-sport semi-professionnelles. J’ai participé à quelques compétitions nationales et internationales, et un an plus tard, à l’âge de 16 ans, je suis devenu champion d’Allemagne. Ensuite, je me suis qualifié pour les World Cyber Games 2006 à Monza, en Italie.

 

Tu as aussi été célèbre en tant que Youtubeur. Peux-tu nous parler de cette période ?

En réalité, j’ai commencé à poster des vidéos sur YouTube relativement tard, mais cela m’a donné une perspective très différente qui m’a beaucoup apporté. J’ai appris à créer des contenus et à les utiliser pour communiquer avec la communauté. Avant cela, je n’étais qu’un jeune « pilote virtuel » qui voulait gagner toutes les courses. Mais lorsque vous créez des contenus, la compétition en elle-même n’est plus un élément aussi prépondérant. Ce qui compte, c’était d’être authentique et intéressant, et de jouer un rôle encore plus actif au sein de la communauté. C’est cela qui m’a aidé à aborder tout cet écosystème d’un point de vue différent.

Quel effet ça fait d’être un joueur d’e-sport de classe mondiale, et d’avoir atteint la reconnaissance aussi jeune ?

C’est très similaire à ce qui arrive aux sportifs d’autres disciplines. Vous êtes jeune et motivé, mais vous manquez d’expérience comparé aux sportifs plus âgés qui gèrent mieux la pression que vous. En phase finale d’une grande compétition en 2006, ma vitesse pure aurait dû me permettre de finir sur le podium, mais en quarts de finale, j’ai commis beaucoup d’erreurs stupides. Jamais je n’avais été aussi crispé, ce qui m’a valu d’être éliminé. Je n’étais tout simplement pas prêt pour faire face à un tel environnement : la présence de spectateurs, des conditions extérieures différentes, des écrans et des périphériques que je ne connaissais pas.

Plus j’ai disputé de compétitions, mieux j’ai su gérer ces situations où l’on pouvait tout gagner ou tout perdre. Mais globalement, le fait de devenir un e-sportif professionnel si jeune m’a permis de rencontrer énormément de gens du monde entier. La scène de l’e-sport m’a beaucoup influencé et a véritablement façonné mon identité.

Quel est votre souvenir le plus marquant en e-sport ?

Ma victoire à l’eSports WRC. C’est grâce à cette compétition que j’ai fini par devenir champion du monde en 2016. Je rêvais de remporter un titre de champion du monde et j’ai dû attendre la fin de ma carrière pour y parvenir. J’étais à deux doigts d’abandonner cet objectif, mais j’ai bouclé la boucle et pris ma retraite peu de temps après.

 

Qu’est-ce qui distingue la pratique du sport virtuel et du sport réel ? Quelles sont les différentes qualités requises ?

Il y a davantage de similitudes que de différences, et cela est encore plus vrai pour ce qui est de l’e-sport automobile. Si vous êtes un bon pilote virtuel, vous avez déjà toutes les compétences requises pour les vraies courses automobiles. Comme les « vrais » pilotes de course, vous connaissez bien, sinon parfaitement, la plupart des circuits, et vous savez précisément quelle stratégie adopter. Comme on dit dans le milieu, « les voitures sont virtuelles, mais la course est réelle ».

Mais attention, je ne suis pas en train de dire qu’un bon pilote d’e-sport fait automatiquement un bon pilote de course automobile. Il faut tout de même s’habituer aux réactions d’un vrai véhicule et aux dangers de la conduite en conditions réelles. C’est un état d’esprit différent. Mais je connais beaucoup de pilotes d’e-sport qui ont déjà fait leurs preuves sur l’asphalte. Et nos règles sont très proches de celles des vrais sports mécaniques. En revanche, la course virtuelle permet un peu plus de créativité sur certains aspects, comme les changements inopinés de conditions météo, par exemple.

 

Quelle différence faites-vous entre les courses d’e-sport et les simulations auxquelles se livrent les pilotes de course professionnels pour s’entraîner ?

Si le but est uniquement de s’entraîner, ou de se familiariser avec le tracé et les caractéristiques d’une course, il ne s’agit pas d’e-sport, car la notion de compétition est totalement absente. Les courses d’e-sport représentent une discipline de compétition à part entière, pas simplement une porte d’entrée vers les sports mécaniques. C’est génial de voir tous ces jeunes pilotes professionnels qui s’essaient à l’e-sport. Ils raffolent des jeux de course et cela contribue à l’enrichissement mutuel des deux disciplines. La victoire de Max Verstappen aux 24 heures virtuelles de Bathurst a ravi les amateurs d’e-sport.

Nous sommes curieux : possédez-vous le permis de conduire ? Par quoi avez-vous commencé : la conduite virtuelle ou réelle ?

J’ai le permis de conduire, mais étrangement, je n’ai pas de voiture actuellement. Je n’en ai pas besoin au quotidien. Je pratiquais la course virtuelle avant de passer le permis. Il y a vraiment certaines compétences qui sont reproductibles en conditions réelles. Je pense que ça m’a servi car je n’ai pas eu besoin de prendre beaucoup de leçons de conduite pour réussir l’examen. Après, conduire sur un circuit virtuel, ça n’a rien à voir avec la réalité. Tout le monde le sait.

C’est ça qui est génial avec les courses virtuelles et l’e-sport en général. N’importe qui peut se faire un nom, sans rencontrer trop de difficultés. Il faut juste acheter le jeu et, naturellement, avoir les qualités requises pour briller.

Quelle sensation procure la conduite virtuelle ? Ressentez-vous une différence entre l’entraînement et la compétition ?

Il y a une énorme différence entre l’entraînement et la compétition. À l’entraînement, les erreurs ne comptent pas vraiment, il suffit d’annuler la partie et de recommencer. En compétition, le titre de champion du monde peut se jouer sur une erreur infime. Lorsque vous participez à un tournoi hors ligne, les conditions sont différentes. Vous n’êtes plus dans votre zone de confort. Vous jouez sur un écran dont vous n’avez pas l’habitude, et c’est souvent la même chose pour le volant et les pédales. La température de la pièce peut vous incommoder. Et puis, il y a un public qui vous observe. Au début de ma carrière, j’avais du mal à m’adapter aux nouveaux environnements et je n’arrivais tout simplement pas à reproduire les chronos que je réalisais chez moi. Mais l’expérience aidant, j’ai réussi à m’adapter instantanément. Vers la fin de ma carrière, j’arrivais à battre tous les petits jeunes grâce à mon expérience.

 

Comment vous préparez-vous mentalement pour une course d’e-sport ?

Je pourrais en parler pendant des heures. Il faut parfaitement maîtriser votre voiture et connaître le circuit dans ses moindres détails. Idéalement, il faudrait être capable de conduire les yeux bandés. Dans une course virtuelle, vous êtes votre propre mécanicien et vous devez établir votre propre tactique. Il faut aussi se préparer physiquement ! Pour moi, rien n’est plus épuisant qu’une course d’endurance virtuelle. Et puis, il y a la préparation mentale. Beaucoup de grandes équipes d’e-sport ont leur propre psychologue qui aident les protagonistes à gérer ces situations de stress. Certains font du yoga pour se relaxer avant les courses, ou écoutent toujours la même chanson juste avant le début de la course, ce que je faisais à la fin de ma carrière. Et ça m’a beaucoup aidé.

 

Comment évolue l’e-sport ? Comment la technologie modifie-t-elle l’expérience globale ?

Lorsque j’ai commencé à jouer aux jeux de course, on s’émerveillait devant la qualité des graphismes. Aujourd’hui, en 2021, les graphismes sont dignes d’images photo ! Si l’on regarde les photos de notre dossier de presse pour la Supercoupe Porsche TAG Heuer Esports, on ne peut même pas dire s’il s’agit d’une course réelle ou virtuelle ! Et les améliorations ne se limitent pas aux graphismes. Des technologies sophistiquées permettent de simuler tout et n’importe quoi sur le circuit, ce qui rapproche toujours davantage le jeu d’une course réelle. Le matériel aussi a beaucoup progressé, notamment les baquets, les volants et les pédales, qui ouvrent de nouveaux horizons.

Quelles sont vos attentes, vos prédictions et vos espoirs concernant l’avenir des courses virtuelles ?

Grâce aux nouvelles technologies, la marge ne cesse de se réduire entre réalité et simulation, pour le meilleur ou pour le pire. J’espère sincèrement que les courses virtuelles resteront perçues comme une discipline à part entière et non comme un laboratoire pour futurs pilotes automobiles. À côté de cela, il faut aussi que la communauté des pilotes virtuels soit plus soudée. Notre écosystème reste très fragmenté, et chaque niche possède son propre public. Fédérer ces forces vives nous permettrait de continuer à grandir et de rattraper d’autres disciplines d’e-sport plus matures.

L’autre grand chantier, c’est la diversité. Lors de la Supercoupe Porsche TAG Heuer Esports, trois des 18 participants aux Allstars Series étaient des femmes. J’espère qu’un jour, il y aura autant de concurrentes que de concurrents. Nous allons poursuivre nos efforts dans ce sens. Mais pour l’instant, je dirais qu’il y a davantage de femmes pilotes en activité en e-sport qu’en course réelle. J’espère que nous contribuons à quelque chose de positif !

 

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui voudrait se lancer comme e-pilote ?

L’essentiel est de prendre du plaisir à évoluer dans ce milieu et d’être un protagoniste actif, car sans plaisir, vous n’avez aucune chance. Il faut vraiment adorer ce que vous faites, car au début, vous ne gagnerez probablement pas d’argent. Essayez plusieurs jeux, jouez aves vos amis, tentez d’intégrer plusieurs communautés d’e-pilotes et tout va s’enchaîner. Vous verrez bien si vous avez suffisamment de talent pour finir sur le podium. Globalement, la course virtuelle est une discipline très exigeante qui n’a vraiment rien à voir avec certaines catégories d’e-sport assez faciles d’accès de prime abord. Voilà pourquoi la patience est une vertu cardinale pour réussir.

 

Formidable. Merci Niklas de nous avoir accordé cette interview.

Merci à vous !